Avec Jacques Attali, Alice Barbe, Véronique Bédague, Thierry Derez, Bruno Tertrais et animé par Stéphane Marchand.
Verbatim Voir Bruno Tertrais : "Les fondamentaux de la géopolitique sont la géographie, l'histoire, mais aussi la démographie qui est majeure pour comprendre les grands lignes de force cu monde d'aujourd'hui."
"Il y a beaucoup d'idées fausses autour de la démographie."
"En démographie, on ne fait pas de prédictions, mais des prévisions."
Jacques Attali : "En matière démographique, les seules choses dont on peut être à peu près certains, c'est ce qui va se passer jusqu'en 2050… A cette époque, il y aura par exemple plus d'habitants au Nigéria qu'aux Etats-Unis."
"Autre phénomène majeur, au rythme actuel, la planète sera invivable en 2050 si on ne change pas radicalement de modes de consommation et d'organisation urbanistique. On ne saura pas soigner, ni éduquer des millions de personnes."
"Il faut passer de l'économie de la mort à l'économie de la vie."
Véronique Bédague : "Le logement dit beaucoup de notre cohésion sociale. Quand on regarde la démographie, on voit la proportion de personnes âgées qui augmente, ce qui implique d'imaginer de nouvelles formes de logements et de services, abordables pour tous. Par ailleurs, on traite extrêmement mal les jeunes, qui aujourd'hui n'ont pas accès à la propriété immobilière et qui ne trouvent pas non plus à ce loger."
"Il faut travailler l'immobilier existant pour l'adapter à la démographie."
Thierry Derez : "En 2050, on retiendra de notre époque que c'est celle d'un formidable allongement de la vie humaine, ce qui signifie aussi réfléchir au vivre ensemble. Pour les assureurs, une des préoccupations est celle de la dépendance. Les Français rêvent de rester chez soi le plus longtemps possible, ce qui implique de réfléchir sur des services et sur la prescription d'une assurance dépendance dès la trentaine."
Alice Barbe : "La migration est toujours abordée sous un prisme sécuritaire et négatif. Il faut au contraire la raconter sous un angle positif."
"L'enjeu de la migration est aussi un enjeu démocratique. La fuite des cerveaux dans les dictatures est par exemple un énorme sujet."
Thierry Derez : "Une des solutions est peut-être d'inverser la maxime de notre République, en faisant passer la fraternité au premier rang."
Alice Barbe : "La démographie me fait aussi penser à la frustration identitaire ! C'est le eux vs nous par rapport à la race ou à l'âge, pourquoi ne pas essayer de construire un nous commun." Pour aller plus loin Voir « Il y a trop de monde sur terre » entend-on souvent. Dès 1798, Malthus, dans son « Essai sur le principe de population », décrivait comment la population humaine allait augmenter de manière exponentielle, pour finalement conduire à la famine et à l’effondrement de la société. L’avenir lui a bien sûr donné tort, même si la population mondiale a officiellement dépassé les 8 milliards en 2022. A quoi ressemblera-t-elle dans trente ans ? Vieillissement, baisse de la fécondité, ralentissement de la croissance, la démographie nous permet de façon assez fiable d’anticiper les choses.
Selon les Nations Unies, la population mondiale devrait continuer à croître au cours des prochaines décennies, une croissance essentiellement portée par les pays d’Afrique, où vivra une personne sur trois en 2100. On estime que la population mondiale atteindra environ 9,7 à 10,9 milliards d’habitants d’ici 2050. Par ailleurs, elle continuera à vieillir en raison de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse du taux de natalité dans de nombreuses régions. En revanche, les taux de fécondité devraient continuer à diminuer partout dans le monde en raison de facteurs tels que l’urbanisation, l’éducation des femmes et l’accès accru aux services de planification familiale.
Il est important de noter que bien que la démographie puisse fournir des indications fiables sur les tendances futures : vieillissement de la population, baisse de la fécondité, mouvements migratoires etc., elle est également sujette à des incertitudes liées à des facteurs imprévisibles tels que les événements politiques, économiques, sociaux ou environnementaux. De plus, des changements dans les politiques publiques, les avancées technologiques ou les événements inattendus peuvent influencer les projections. Malgré ces limites, la démographie reste un outil essentiel pour comprendre les défis et les opportunités liés à l’évolution de la population et pour orienter les politiques et les stratégies visant à assurer une croissance démographique durable et équilibrée.
Mythe ou réalité de la bombe démographique
La bombe démographique ou bombe P selon la formule choc lancée en 1968 par Paul Ehrlich est un terme qui a été utilisé pour décrire une croissance rapide et incontrôlée de la population mondiale. Mais est-elle mythe ou réalité ? Sur ce point, les opinions divergent.
Dans les années 1960 et 1970, le concept de « bombe démographique » était très répandu et certains prédisaient que la population mondiale continuerait de croître à un rythme exponentiel, entraînant des crises alimentaires, environnementales et socio-économiques majeures. Ces prévisions se sont avérées partiellement fausses. Les taux de croissance démographique ont en effet commencé à ralentir dans de nombreux pays depuis les années 1980, grâce à l’accès accru à l’éducation et aux soins de santé, à la planification familiale et à l’autonomisation des femmes, qui ont contribué à réduire les taux de fécondité dans de nombreuses régions du monde.
Selon les estimations des Nations Unies qui font référence, la croissance de la population mondiale devrait se stabiliser et atteindre un plateau aux alentours de 9 à 11 milliards d’habitants d’ici la fin du 21e siècle. Une nouvelle étude réalisée par des chercheurs de l’initiative Earth4All vient même revoir ces prévisions à la baisse et prévoit que la population mondiale culminera à un peu moins de 9 milliards de personnes dès 2046 avant de décliner à 7,3 milliards en 2100.
Même si le ralentissement de la croissance démographique est déjà une réalité, des défis démographiques majeurs subsistent toutefois dans certaines régions, tels que la surpopulation, l’accès aux ressources, l’équité entre les sexes ou encore le vieillissement de la population dans les pays développés.
Bienfait pour l’humanité ou handicap ?
La croissance démographique mondiale annoncée est-elle un bienfait pour l’humanité ou, au contraire, un véritable handicap ? Le résultat est contrasté.
Parmi les effets positifs attendus, on peut noter que cette population nouvelle va constituer un réservoir de main d’œuvre permettant de faire face à une production plus importante. A condition toutefois que la formation et l’éducation suivent.
Autre aspect positif : une population nombreuse est aussi un vaste marché de consommation, à condition bien sûr d’avoir les moyens de consommer les produits qu’elle fabrique. Un vaste marché de consommation peut par ailleurs conférer de la puissance à un Etat. La Chine de Xi Jinping en est l’illustration.
De nouvelles opportunités commerciales peuvent également s’ouvrir en raison d’une demande croissante de biens et de services, ce qui peut conduire à une accélération de l’innovation dans de nombreux domaines tels que les soins de santé, les technologies de l’information, le tourisme, etc
La crise démographique peut enfin être une bonne incitation pour les gouvernements à revoir leurs politiques en matière de sécurité sociale, de santé, de logement et d’éducation pour mieux répondre aux besoins des différentes tranches d’âge.
Mais la croissance démographique risque d’un autre côté d’entraîner bien des conséquences négatives.
La tension sur les ressources (eau, alimentation, énergie, etc.) va encore augmenter avec en corollaire la destruction de toujours plus de forêts, de prairies, de savanes. Et une perte de biodiversité.
Les besoins d’infrastructures adaptées (logements, hôpitaux, voies de communication) vont également s’accroître, or certains Etats ne seront pas en mesure de les financer.
En quête de ressources ou de travail, les populations nouvelles seront souvent contraintes de quitter leur pays d’origine, d’où un risque accru de flux migratoires incontrôlés.
D’un autre côté le « péril gris » menacera nombre de pays développés dont la population vieillit ce qui peut entraîner un manque de dynamisme en termes d’innovation, donc une perte de compétitivité, un certain regain du conservatisme politique ou encore des pressions accrues sur les systèmes de santé et de retraite.
Face à ces constats, il est impératif que les gouvernements, les entreprises et la société civile collaborent au niveau mondial pour élaborer des politiques efficaces et équilibrées afin notamment de favoriser l’aide publique au développement et les échanges.
Sommes-nous prêts ?
La préparation pour affronter le choc démographique dépend de nombreux facteurs : politiques publiques, systèmes de protection sociales, infrastructures, éducation, économie, capacité à s’adapter aux changements et à anticiper l’avenir.
Parmi les mesures qui pourraient et devraient être prise on peut citer une meilleure planification familiale ; un renforcement des systèmes de santé et de sécurité sociale ; des politiques d’immigration mieux conçues et concertées ; des investissements accrus dans l’éducation et la formation ; un encouragement à l’innovation, etc.
Toutes ces solutions devront être trouvées au niveau de chaque Etat bien sûr, mais aussi et surtout à travers une meilleure coopération européenne et mondiale. La part de la population européenne dans le monde ne cessant de diminuer, la nécessité pour l’UE de parler d’une seule voix et d’agir de concert devient d’autant plus importante.
L’humanité est sans doute parfaitement capable de produire suffisamment de ressources pour faire face à l’augmentation de la population mondiale à l’horizon 2050. Mais reste à savoir si elle sera capable de mieux les partager afin de reléguer une fois pour toutes le mythe de la surpopulation aux poubelles de l’histoire.