Invité d'Europe soir week-end le 22 mars dernier, Patrick Martin a évoqué la dette publique, le paritarisme, la réforme de l’assurance chômage, la crise du logement, ainsi que les futures élections européennes et américaines.
Sur la dette
Interrogé sur l’état préoccupant des finances publiques, Patrick Martin a toutefois noté qu' « on a des entreprises qui réussissent, qui se battent. Le moral des troupes est préoccupé, mais certainement pas résigné. Cela dit, on a de réels motifs d'inquiétude. Les derniers chiffres sur l'état des finances publiques sont un vrai sujet de préoccupation. Il est évident que le budget de l'État doit être tenu de manière beaucoup plus rigoureuse. Mais il faut savoir où faire les bonnes économies ».
Pour lui, « on tourne autour du pot depuis des décennies et le pot est de plus en plus gros. En 2023, alors même que la conjoncture se tendait, il y a 60.000 emplois qui ont été créés dans les fonctions publiques – État, collectivités locales, secteur hospitalier – et que pour 2024, on nous annonce 70.000 nouvelles créations d'emplois. Quand on fait des comparaisons internationales, d'évidence, il n'y a pas de maîtrise du principal poste de dépenses des fonctions publiques, c'est-à-dire les frais de personnels. Dans le secteur hospitalier, on a 35 % d'administratifs, les Allemands en ont 24 %. Ça fait 100.000 personnes qui ne sont pas en frontline, au service des patients et pourtant que l'on paye. (…) Et donc le regard, comme toujours, se tourne vers les agents économiques, vers les entreprises au premier chef. C'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. ».
Patrick Martin avoue avoir « terriblement peur » que l’Etat vienne taper dans la caisse des entreprises. Pour lui, « si l'état des finances publiques s'est si brutalement dégradé, c’est parce qu'il y a moins de rentrées de TVA et moins de rentrées d'impôt sur les sociétés ». D’où l’importance « de relancer l'investissement. (…) Comment voulez-vous qu'on embauche, qu'on augmente les salaires, qu'on inclue les jeunes si nos moyens financiers sont réduits ?! C'est complètement à contre-sens. »
Sur le paritarisme
Pour Patrick Martin, « il n'y a pas de crise entre les partenaires sociaux : on gère ensemble, au titre du chômage, au titre des retraites complémentaires, au titre des accidents du travail, au titre de la prévoyance, 235 milliards d'euros de prestations qui sont servies aux salariés chaque année. Chacun de ces régimes est excédentaire. L'Etat nous menace de reprendre la main, par exemple sur l'assurance chômage. Pourquoi pas ?! Encore faudrait-il que l'Etat soit un modèle de bonne gestion. (…) Notre pays a besoin de paix. L'entreprise est relativement apaisée par comparaison au climat général donc il faut faire confiance aux partenaires sociaux pour savoir ce qui doit se passer dans l'entreprise et dans le monde du travail ».
Sur la CVAE
« La disparition de la CVAE avait été annoncée. Elle devait prendre effet en 2023. Elle a été étalée sur 2023-2024. On nous a annoncé à la rentrée de septembre 2023 que ce serait finalement supprimé sur quatre ans. Et maintenant, on nous explique que ça ne serait pas supprimé. On a encore un différentiel par rapport à l'Allemagne en termes d'impôts de production, la CVAE en fait partie. La compétition internationale devient extrêmement violente, pour commencer avec les Etats-Unis et la Chine, on ne peut pas vouloir tout et son contraire. On ne peut pas vouloir une France compétitive et attractive et finalement amputer les entreprises d'un certain nombre d'atouts en matière de compétitivité. (…) Au moment où le pays est dans une situation économique et sociale assez périlleuse, nous, entrepreneurs, appelons à une forme de responsabilité de tous ».
Sur l’emploi et la réforme de l’assurance chômage
« Le plein emploi, évidemment qu'on le vise tous, d'abord ceux qui retournent à l'emploi ou qui accéderaient à l'emploi et ça serait par ailleurs extrêmement vertueux en termes de finances publiques, en termes d'équilibre des régimes sociaux », déclare Patrick Martin. « En même temps, il ne faut pas se raconter d'histoires : ce n'est pas parce qu’il y aura une nouvelle réforme de l'assurance chômage – qui est envisageable d'ailleurs – qu'on atteindra le plein emploi ; on atteindra le plein emploi si on va beaucoup plus loin dans la formation d'abord des jeunes, ensuite des personnes en emploi. Et puis surtout si on a un sous-jacent d'activité économique. Et de nouveau, tout ce qui est en préparation au niveau du gouvernement va à l'encontre de cette dynamique économique. Donc on n'atteindra pas le plein emploi. Il y a un premier signal qui est assez préoccupant : 12.000 suppressions d'emplois dans le secteur privé au quatrième trimestre 2023. Mon pronostic, c'est qu'on va encore avoir des destructions, par exemple dans la filière bâtiment ».
Sur le logement
« Le logement, rappelle Patrick Martin, c'est 10 % des emplois français et 8 % du produit intérieur brut. Des mesures d’économies ont été prises par le gouvernement, en particulier sur tout ce qui incite à l'investissement immobilier. Eh bien, il arrive ce qui devait arriver, c'est-à dire un effondrement des mises en chantier, moins 23 % l'année dernière. (…) Là où l'État croit faire une économie, en réalité, il génère des dépenses supplémentaires : moins de rentrées de TVA puisque les constructions ne sont pas faites, moins de rentrées de droits de mutation pour les collectivités locales – 5 milliards et demi en moins l'année dernière. Et puis demain, des suppressions d'emplois, donc des dépenses d'assurance chômage et moins de rentrées sur les cotisations sociales. Je partage les prévisions de la Fédération française du Bâtiment selon lesquelles il y aurait 250.000 à 300.000 emplois qui seraient détruits entre 2024 et 2025 ».
Sur les élections européennes
« Nous sommes pro-Européens. Nous voulons une Europe plus pragmatique, plus combative, plus soucieuse de la puissance de l'économie européenne au regard de la concurrence internationale. Je suis dans l'attente de ce que sera le programme du Rassemblement national, mais s'il est le même qu'en 2022, nous ne le soutiendrons évidemment pas, parce que c'est plus de dépenses publiques, moins de production, plus d'impôts ».
Sur les élections américaines et la comparaison avec les Etats-Unis
Pour Patrick Martin, « Biden s'est un peu inscrit dans la continuité de Trump sur le plan économique, avec cette stratégie de puissance économique des Etats-Unis. Et on peut considérer que si Trump était réélu, cela ne changerait pas radicalement les choses. Ce qui est essentiel, c'est que les Etats-Unis sont en train de nous mettre dans le vent, nous Européens, nous Français. Si on regarde la richesse par habitant, la France se situerait au 48ᵉ rang des 50 états américains. La richesse par habitant des États-Unis il y a une vingtaine d'années était de 15 % supérieure à celle des Français. Elle est dorénavant de 85 % supérieure. Les Américains attirent des investissements : il y a de meilleures performances économiques, l'énergie est moins chère, il y a des subventions massives. Et si l'Europe n'y prend pas garde, si la France n'y prend pas garde, le décrochage va s'accentuer. Ce serait quand même terrible pour notre pays de devenir un marché pour les producteurs américains et chinois. (…) En France, sans même parler de l'Europe, on tergiverse ; on veut décarboner notre économie, on veut de la souveraineté, mais on ne se donne pas les moyens d'investir. On refuse ici et là d'exploiter des ressources naturelles. (…) A un moment donné, il faut qu’on pose les Colts et qu'on se donne les moyens de nos ambitions. (…) Donc, il faut absolument doper notre économie, faire confiance aux acteurs économiques, aux entreprises et se projeter dans l'avenir ».
>> Réécouter l’interview sur le site d'Europe 1