Avec Sylvie Bermann, Françoise Coste, Grégoire de Saint-QUentin, Ross McInnes et animé par Thierry Arnaud.
Verbatim Voir Sylvie Bermann : "Le désordre mondial précédait l'invasion de l'Ukraine. On parle beaucoup du Sud global. Certes, ses pays ne se ressemblent pas, mais ce qui les rassemble, c'est leur hostilité à l'Occident. On n'a pas su gérer l'après guerre froide !"
Ross McInnes : "Le conflit russo-ukrainien n'a pas changé grand-chose pour les entreprises de défense, nous avons toutefois l'espoir qu'il y aura plus de volume."
"La capacité d'un entrepreneur, c'est de s'adapter… Rêver d'un monde simple serait illusoire."
"Covid, conflit et climat, ces trois éléments ont changé l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les entreprises."
Françoise Coste : "L'élection américaine pourrait incarner un désordre politique. Une éventuelle victoire de Trump et de tout l'appareil qui est derrière lui pourrait symboliser la fin d'un cycle démocratique vieux de 250 ans."
Grégoire de Saint-Quentin : "Il est difficile de savoir ce que Trump fera ! Mais il a déjà fortement déstabilisé l'OTAN lors de son premier mandat."
"Nous sortons de la parenthèse enchantée dans laquelle on vivait depuis 30 ans. L'Ukraine est le laboratoire de ces nouveaux conflits, où obtenir l'effet de surprise est extremement difficile."
"L'arrivée des agents intelligents comme aide pour les états majors s'impose aujourd'hui."
Ross McInnes : "Seuls les Etats sont légitimes à fixer des priorités en termes d'énergie… mais en sont-ils capables ?"
"Nous avions pris l'habitude d'être dans la mondialisation heureuse, il va falloir s'adapter à de nouveaux schémas."
"Le mot souveraineté a été galvaudé, il s'applique à l'Etat, pas à l'environnement industriel."
"On ne peut que se féliciter de l'action européenne."
Sylvie Bermann : "Face aux Etats-Unis, l'Europe n'est pas en ordre de marche, elle a raté l'occasion de le faire lors de la première présidence Trump… L'Europe n'est plus une priorité pour les Etats-Unis, leur priorité c'est la Chine."
"Je crois que même Trump ne quittera pas l'OTAN, le tout est de savoir ce qu'il fera de l'article 5 si un Etat balte est attaqué."
Grégoire de Saint-Quentin : "L'autonomie stratégique de l'Europe est indispensable."
"La vraie difficulté est de savoir comment on unit nos forces."
Sylvie Bermann : "L'article 5, ce n'est pas l'article F-35."
Françoise Coste : "Le complexe militaro-industriel est une sorte d'Etat providence aux Etats-Unis."
"Pour les Américains, l'Europe c'est clairement le XXe siècle."
Grégoire de Saint-QUentin : "Le tête-à-tête des Etats-Unis avec la Chine est global, il va se jouer partout, et la Russie fait partie du calcul."
Sylvie Bermann : "La Chine, tout en n'aimant pas cette guerre, ne souhaite pas l'affaiblissement de la Russie."
"La Chine aura peut-être un jour besoin d'un renvoi d'ascenseur de la part de la Russie."
"L'intérêt de la Chine, c'est de ménager tous ses partenaires."
Grégoire de Saint-Quentin : "Les Chinois sont clairement dans le camp de ceux qui veulent désoccidentaliser."
Ross McInnes : "La réorganisation de la logistique touche surtout les importations; Le volet exportation est lui lié au protectionnisme."
Grégoire de Saint-Quentin : "Ce que je trouve impressionnant, c'est la capacité des Etats-Unis à créer des champions."
Françoise Coste : "Aujourd'hui, big Business devient aussi fort que big Government. On n'a aucun pouvoir d'action sur quelqu'un comme Elon Musk par exemple et les grands patrons d'industrie américains basculent facilement dans la politique."
Grégoire de Saint-Quentin : "Notre enjeu européen est de conjuguer demain la puissance et les principes."
Françoise Coste : "Je suis impatiente de voir une femme présidente des Etats-Unis."
Sylvie Bermann : "Le poids de la France passe inévitablement par l'Europe. Il faut continuer la construction européenne."
Ross McInnes : "En France, il ya a du génie et des fourmis, le problème, c'est qu'entre les deux, il y a Bercy."
Pour aller plus loin Voir Près de la moitié de la population mondiale, et 55 % du PIB mondial, ont été ou seront concernés par des élections cruciales en 2024. Une trentaine de pays ont ou vont désigner leur président, tandis que dans 20 pays sont également prévues des élections parlementaires. Tout cela dans un contexte international extrêmement troublé, avec le conflit russo-ukrainien, les tensions entre la Chine et Taïwan, la guerre entre Israël et le Hamas et plus largement un possible embrasement du Proche-Orient.
Si les populistes sont arrivés en tête dans bon nombre de pays européens comme les Pays-Bas ou la Slovaquie, d’un autre côté on note le retour des travaillistes au Royaume-Uni, l’élection d’un président « réformateur » à la tête de l’Iran et une résistance en France, après la nouvelle poussée du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et législatives.
Tous les regards vont désormais se tourner vers les Etats-Unis à l’automne, où face à un Joe Biden affaibli, le retour de Donald Trump semble une probabilité forte. Les cartes du pouvoir risquent donc d’être profondément rebattues sur la scène internationale. Dans ce contexte pour le moins troublé, à quoi faut-il s’attendre ? 2024, une année charnière
2024 sera incontestablement une année charnière sur le plan géopolitique et la Coface alerte sur les risques politiques et sociaux que cela pourrait engendrer sur fond de montée des populismes de l’Inde au Mexique, en passant par l’Autriche, la Tunisie, l’Indonésie ou le Salvador. Pour la Coface, trois risques sont particulièrement à surveiller : les incertitudes politiques avec partout un sentiment d’hostilité grandissant vis-à-vis des pouvoirs en place. Il suffit de regarder ce qui se passe en France, où après l’annonce de la dissolution au soir des élections européennes, le rejet massif du président de la République et de son camp se sont confirmés dans les urnes.
Des troubles sociaux sont également à redouter dans un contexte inflationniste qui semble difficile à maîtriser. Enfin, les tensions géopolitiques ne cessent de s’accroître avec une fracture grandissante entre les différents blocs et une profonde remise en cause des modèles occidentaux.
La recomposition du monde semble donc s’accélérer et dans ce contexte les résultats de certaines élections prennent une importance singulière. Vers quelle nouvelle donne géopolitique ?
Va-t-on vers un nouvel ordre mondial qui va mettre fin à l’unilatéralisme occidental qui continue de s’effriter ? Xi Jinping ne cesse de vanter l’influence croissante de Pékin sur la scène diplomatique internationale, mais la Chine et la Russie forment-elles vraiment un nouveau centre de décision ? Selon certains observateurs, Chine et Russie ont « l’obligation de se serrer les coudes tant qu’existera l’actuelle conception géopolitique du monde, car l’une a besoin de l’autre afin de faire face aux pressions et sanctions occidentales ». Chine et Russie sont également à l’origine de la création des BRICS, qui défendent un ordre mondial multipolaire économique et politique et qui cette année vont s’élargir à de nouveaux pays avec l’intention de créer un nouvel ordre mondial. Quoi qu’il en soit, le nouvel ordre international rêvé après la chute du mur en 1989 semble bel et bien mort et les organisations internationales comme l’ONU sont en panne, même si l’OTAN à la faveur de la guerre en Ukraine est en train de se restructurer. S’il est encore loin d’être un véritable bloc, le regroupement d’émergents, derrière la Chine et la Russie, est devenu une réalité stratégique avec par exemple des partenariats notables en matière d’armements. Et l’Europe dans tout cela ?
Confrontée à la nouvelle violence du monde, l’Europe doit, malgré elle, faire face à un retour de la guerre sur son sol et à des risques géostratégiques mondiaux. L’invasion de l’Ukraine a malheureusement montré les limites du « doux commerce », cher à Montesquieu. Lorsqu’elle a pris ses fonctions en 2019, Ursula von der Leyen affirmait vouloir diriger une Commission « géopolitique ». Le contexte mondial a poussé la Commission et l’Union européenne dans cette direction et conduit l’Europe à s’affirmer, à défendre ses valeurs et sa singularité. La guerre en Ukraine a notamment conduit à une montée en puissance des questions de défense à l’échelle européenne, même si on est encore loin de l’émergence d’une véritable Europe de la défense. Depuis l’invasion russe, les Etats membres de l’UE ont toutefois fortement augmenté leur budget militaire et ainsi musclé leur sécurité collective. La guerre en Ukraine a également conduit à une accélération du processus d’élargissement : Ukraine, Moldavie, Géorgie ont ainsi déposé leur candidature. Ce mouvement vers l’intégration de ces trois pays a été accompagné par une relance de l’élargissement dans les Balkans.
Au-delà du conflit russo-ukrainien, d’autres zones de tension dans le monde entraînent des conséquences directes pour les pays européens, qui n’étaient pas prêts pour cette nouvelle donne à laquelle vont devoir faire face les députés élus en juin dernier.
L’Union européenne est en effet à la croisée des chemins. Va-t-elle se donner les moyens de s’affirmer comme acteur majeur ? Comme se le demande Agathe Demarais de l’Institut Montaigne : « il y a clairement deux blocs, un américain, un chinois et ses alliés avec la Russie. Est-ce que l’Europe va devenir un troisième bloc ou pas, ou est ce qu’elle restera alignée sur les Américains ? » Quelle place pour l’Afrique ?
Dans ce nouveau contexte, l’Afrique émerge à nouveau comme un espace majeur de compétition stratégique, attirant les grandes puissances. Les occidentaux sont désormais loin d’être les seuls à se partager les territoires d’influence sur le continent africain, ils doivent de plus en plus rivaliser avec de nouveaux acteurs, tels que la Chine et la Russie qui ont l’avantage de ne pas avoir de passé colonial. Si la Russie axe ses relations avec les États africains beaucoup plus sur des stratégies militaires et sécuritaires que sur des activités économiques – elle est devenue le premier marchand d’armes du continent africain -, la Chine, quant à elle, opte plutôt pour une stratégie économique à travers la matérialisation du pharaonique projet de « la nouvelle route de la Soie » lancée dès 2013. Elle est ainsi devenue depuis quelques années le premier partenaire commercial de l’Afrique, devant les Etats-Unis et l’Union Européenne. Quant à l’UE, il lui faut désormais trouver un nouvel équilibre avec le continent. A la clé figure notamment un programme d’investissement de 150 milliards d’euros en Afrique d’ici à 2030, dans le domaine des infrastructures en particulier. Mais en dépit de ces perspectives, les relations entre Européens et Africains sont loin d’être au beau fixe. Le poids de l’élection américaine
Le monde retient déjà son souffle. L’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain sera sans aucun doute une date clé de l’année 2024. L’hypothèse d’une victoire de Trump devient de plus en plus probable, notamment après les interrogations sur l’état de santé de Joe Biden et sa capacité à gouverner quatre ans de plus. Si un retour de Trump se concrétise, les États-Unis pourraient modifier profondément leurs priorités internationales et en premier lieu leur soutien à l’Ukraine et leurs relations avec l’Europe. Les choix faits par la première puissance du monde seront d’autant plus importants que les rapports de force géopolitiques changent très rapidement, avec l’émergence de ce qu’il convient désormais d’appeler le Sud global. Trump numéro 2 risque fort de déconstruire tout ce que l’administration Biden a construit en quatre ans sur la scène internationale. Les Européens auraient en particulier beaucoup à perdre d’un retour de Trump, et l’autonomie stratégique de l’Europe deviendra dès lors une priorité à laquelle il faut très vite se préparer. Géopolitique et entreprises : naviguer dans un monde multipolaire
Les événements géopolitiques ont d’importants impacts sur les entreprises qui doivent de plus en plus apprendre à naviguer dans un monde multipolaire et composer avec l’interventionnisme économique des pouvoirs en place. Elles doivent aussi tout mettre en œuvre pour réduire au mieux les tensions et les risques sur les chaînes mondiales d’approvisionnement. Pour cela, il est essentiel que les entreprises intègrent les considérations géopolitiques dans leurs stratégies et surtout qu’elles en inventent de nouvelles. Elles ne peuvent en effet plus aujourd’hui se tenir à l’écart des enjeux géopolitiques et doivent en analyser et en prévoir les risques pour leur activité. Le poids démographique, économique et politique des pays à haut revenu recule au profit de l’Asie et des pays émergents, changeant les rapports de force internationaux.
Pour le Financial Times, 2024 est déjà considérée comme l’année test de la démocratie. « Il serait encourageant de penser que 2024 entrera dans l’histoire comme un jalon sur le long chemin de la démocratie, depuis ses débuts sur les places animées d’Athènes jusqu’à un monde plus juste et plus équitable. Mais cela semble peu probable », écrit le FT. L’humanité vit un moment de rupture entre un ancien modèle né de la deuxième guerre mondiale et un modèle en devenir dont les contours ne sont pas clairs et semblent échapper à tous. On semble hélas être entré dans un monde sans règle, où tout semble permis à celui qui détient la force. Un monde où les liens et les alliances se nouent et se dénouent rapidement, avec un occident décrédibilisé et partout une méfiance vis-à-vis du politique incapable d’apporter les réponses attendues par le peuple. « On est passé dans une multipolarité désordonnée où tout est une arme : l’énergie, les données, les infrastructures, les migrations », estimait en décembre dernier Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Alors in fine, qui dirigera le monde à l’issue de cette année ?